La démission du dirigeant de la société en liquidation ne le protège pas de ses fautes de gestion

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13/04/2021
Affaires - Commercial

Le désintérêt revendiqué du co-gérant démissionnaire pour la gestion de sa société en liquidation et l’omission d’en déclarer l’état de cessation des paiements excèdent la simple négligence : sa condamnation à supporter une partie de l’insuffisance d’actif est justifiée. Mais une mesure d’interdiction de gérer ne peut être prononcée à son encontre dès lors qu’elle est fondée sur un fait absent du débat.
Une condamnation du dirigeant social en application de l’article L. 651-2 du code de commerce suppose l’existence d’une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société en liquidation ; la gravité des faits doit alors être caractérisée.
 
En l’espèce, une SARL X… – spécialisée dans la vente et l'installation de dispositifs de chauffage bois, gaz et bioéthanol – co-dirigée par deux frères, M. Y… (démissionnaire le 2 avril 2015) et M. Z…, avait été, à la suite de la déclaration de cessation des paiements effectuée le 11 mai 2015 par M. Z…, mise en liquidation judiciaire par jugement du 26 mai 2015 ; la date provisoire de cessation des paiements avait été fixée au 31 décembre 2014. Par requête du ministère public du 1er décembre 2017, les co-gérants avaient été cités à comparaître devant le tribunal de commerce à l'effet de voir prononcer à leur encontre une interdiction de gérer pour une durée de dix ans et une contribution à l’insuffisance d’actif à hauteur de 150 000 euros pour chacun d'entre eux.
 
Retenant que l’insuffisance d’actif constatée était due aux fautes de gestion particulièrement graves des co-gérants (absence de tenue d'une comptabilité complète et régulière et dépôt tardif de la déclaration de cessation des paiements ayant contribué à l'aggravation du passif en permettant la poursuite d'une activité déficitaire), le tribunal les avait condamnés à combler le passif à hauteur d’un montant de 176 826,37 euros, soit 88 413,18 euros chacun. En outre, il avait prononcé une mesure d'interdiction de gérer fixée à dix ans contre M. Y… Ce dernier avait fait appel du jugement.
 
Répondre de sa gestion jusqu'au terme de ses fonctions…
 
Allant dans le sens des premiers juges, la cour d’appel a condamné M. Y… au paiement d'une somme justement évaluée à 88 413,18 euros, montant proportionné au regard de chacune des fautes établies à l’encontre de l’intéressé, mais a ramené l’interdiction de gérer à une durée de sept ans (CA Douai, 2e ch., sect. 2, 17 oct. 2019, n° 19/01162, Lamyline).
 
Ainsi, selon l’arrêt de la cour d’appel :
 
— d’une part, M. Y… ne peut se borner à affirmer qu'il n'avait pas connaissance des aspects juridiques, administratifs, comptables et financiers de la société X… et son désintérêt, qu'il revendique, ne retire rien au fait qu'il a été dirigeant de droit de cette société du 14 août 2009 au 2 avril 2015 ; à ce titre, il lui appartenait de participer à la gestion dans tous ses aspects. Il ne pouvait légitimement ignorer que la société avait éprouvé des pertes et que des cotisations sociales étaient en souffrance de longue date. Enfin, la concomitance entre sa démission de ses fonctions de gérant et la date de dépôt de la déclaration de cessation des paiements indique qu'il était pleinement conscient des difficultés financières de la société et a sciemment omis de procéder à la déclaration de cessation des paiements ;
 
— d’autre part, l'importance de la responsabilité de M. Y… dans la situation actuelle de la société X… et le fait qu'il ait reproduit avec son autre société, la société XX…, les conditions ayant conduit à sa déconfiture, justifient que soit prononcée à son encontre une mesure d'interdiction de gérer.

Reprochant aux juges du fond de n’invoquer qu’un désintérêt sans constater qu'ils étaient en présence d'une faute intentionnelle, et soulignant que ni le ministère public ni le liquidateur judiciaire n’avaient fait état de son comportement similaire à la tête d'une autre société, M. Y… s’est pourvu en cassation.
 
… Mais en restant dans les limites du débat
 
La Haute juridiction approuve la cour d’appel, qui a légalement justifié la condamnation au comblement du passif en faisant ressortir que le désintérêt de M. Y… pour la gestion de la société X… et l'omission d'en déclarer l'état de cessation des paiements excédaient la simple négligence.
 
Mais, statuant au visa de l’article 7 du code de procédure civile, elle censure la cour qui a prononcé une interdiction de gérer en se fondant sur un fait qui n'était pas dans le débat : le comportement fautif de M. Y… en sa qualité de gérant d’une autre société n'était invoqué ni par le ministère public ni par le liquidateur judiciaire. Sur ce point, les parties sont renvoyées devant la cour d’appel.
 
Pour aller plus loin
Pour des compléments sur la faute de gestion, se reporter aux nos 4730 et s. de l’édition 2020 du Lamy droit commercial.
Source : Actualités du droit