Cession de fonds de commerce et « clause de non-sollicitation de clientèle » trop contraignante

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05/11/2021
Civil - Contrat

La clause de non-sollicitation imposant au cessionnaire de ne traiter « aucune opération » avec les anciens partenaires commerciaux désignés du cédant, aboutissant, par la généralité des termes employés, à une interdiction pour lui de nouer une quelconque relation avec eux, est disproportionnée à l’intérêt explicité, et nulle.
Une société cède un fonds de commerce. Le cessionnaire assigne la cédante en paiement de diverses sommes en exécution de l'acte de cession et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice – la perte de chance de réaliser un chiffre d’affaires – invoquant notamment la nullité de la clause de non-sollicitation de clientèle stipulée dans l’acte.
 
La clause litigieuse prévoyait que le cessionnaire ne pouvait solliciter pendant trente-six mois certains anciens partenaires de la cédante qu’elle avait assignés en justice, ceux-ci s’étant rendus coupables d’actes de concurrence déloyale.
 
La cour d’appel juge la clause invalide, comme portant une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie.
 
La cédante conteste l’invalidité de cette clause devant la Cour de cassation. Pour elle, la clause litigieuse était limitée et proportionnée. Elle avait bien été stipulée entre deux partenaires commerciaux. Elle visait, certes, à préserver ses intérêts judiciaires, mais était restreinte dans la durée et dans son périmètre. Elle invoque donc la violation de l’article 1134 ancien du Code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
 
Pourtant, la Cour de cassation approuve les juges du fond.
 
Ceux-ci ont relevé que la clause « Obligation de loyauté » de l’acte de cession stipulait que « Le cessionnaire s'engage à une obligation de loyauté à l'égard du cédant et à ce titre à ne rien faire qui puisse être préjudiciable à ce dernier tant à l'égard du personnel que des clients et fournisseurs qui ont pu avoir à traiter avec le cédant ; le cessionnaire s'engage tout particulièrement jusqu'à l'issue des contentieux en cours et pendant une durée qui ne pourra excéder trente-six mois à compter de la date de réitération des présentes à ne traiter aucune opération soit directement soit indirectement, sauf accord exprès de Mme K. », avec trois anciens partenaires contractuels et deux anciens agents commerciaux, « compte tenu des relations conflictuelles et des procédures judiciaires que le cédant poursuit avec ces derniers sauf accord exprès de Mme K. ».
 
Ils ont rappelé les conditions de validité de cette clause : sa limitation dans le temps, la protection d'un intérêt légitime et le caractère proportionné entre l'interdiction posée et l'intérêt protégé.
 
Ils ont retenu  :
  • que « l'engagement stipulé était contraignant en ce que, limité dans le temps, il imposait cependant au cessionnaire de ne traiter "aucune opération" avec les personnes et sociétés désignées, aboutissant, par la généralité des termes employés, à une impossibilité pour le cessionnaire de nouer une quelconque relation, commerciale, de travail ou de collaboration, avec les anciens partenaires de la cédante sauf accord exprès de Mme K. » D’ailleurs, cette dernière avait ainsi refusé son accord quand le cessionnaire avait souhaité assurer le service après-vente relatif aux produits de négoce des trois partenaires visés dans la clause ;
  • et que la cédante « ne justifie pas cette clause par la nécessité de préserver son secteur d'activité économique d'une quelconque concurrence à venir mais par celle d'éviter toute interférence dans le déroulement des procédures l'opposant à ses anciens partenaires. » Ayant indiqué que « les partenaires visés lui avaient permis de réaliser un important chiffre d'affaires qui avait chuté après la rupture de leurs relations, la restriction qu'elle imposait au cessionnaire revenait à lui faire subir le même sort, au mépris du principe de la liberté du commerce et de l'industrie que la vente du fonds à moindre prix ou que le dessein de contraindre ses anciens partenaires à "s'asseoir à la table des négociations" ne pouvaient justifier. »
La cour d'appel a pu déduire que cette clause n'était pas proportionnée à l'intérêt ainsi explicité. Le pourvoi est rejeté.
 
Pour aller plus loin, voir le Lamy Droit du contrat, n° 2856.
Source : Actualités du droit