Adoption de la loi DDADUE : dernière ligne droite vers le renforcement de l'efficacité des outils conférés à l’Autorité de la concurrence

Image  Par Alexandra Dayras et Charlotte Roegis, étudiantes du Master Droit et régulation des marchés de l'Université Paris-Dauphine
07/12/2020
Affaires - Droit économique

Le 18 novembre, la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), revoyant la transposition de la directive ECN+ qui vise « à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur », a été définitivement adoptée par le Parlement. Le gouvernement est ainsi habilité à légiférer par voie d’ordonnance afin d’édicter des mesures complémentaires de simplification et de renforcement des procédures.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine


L’objectif de la directive (Dir. (UE) 2019/1, 11 déc. 2018) est de créer un cadre garantissant l’impartialité et l’indépendance des autorités nationales de concurrence par le biais de ressources propres et des pouvoirs coercitifs élargis.

De nouvelles prérogatives pour accroître l’efficacité de l’Autorité de la concurrence
 
Jusqu’à lors, l’AdlC est contrainte de répondre à toute saisine ayant suffisamment d’éléments probants. Dans le souci de limiter les délais d’attente et de garantir une meilleure administration de la justice, une mesure inédite est introduite par la directive : l’opportunité des poursuites. L’AdlC aura donc la capacité de définir les saisines prioritaires de manière discrétionnaire en ayant la capacité de rejeter des affaires. Cela induira une nouvelle répartition des compétences entre la DGCCRF ou les juridictions de droit commun, en fonction des enjeux estimés par l’Autorité. Cette faculté lui permettra d’arbitrer entre l’intérêt général et l’intérêt des poursuites. À cela s’ajoute la capacité reconnue à l’AdlC d’imposer des mesures conservatoires en se saisissant d’office, une plainte ne sera dès lors plus nécessaire pour imposer des mesures provisoires. Le but recherché est d’augmenter cette pratique notamment pour répondre aux défis du numérique comme dans le cas de la décision Google (Aut. conc., déc. n° 19-MC-01, 31 janv. 2019, relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus ; lire Google Ads : des mesures d'urgence à l'encontre de Google prononcées par l’Autorité de la concurrence, Actualités du droit, 31 janv. 2019).

Des pouvoirs d’enquête et modes de preuve élargis
 
En matière d’enquête, l’Autorité de la concurrence a le droit de procéder à toutes inspections inopinées et d’obtenir des entreprises les documents et informations nécessaires à son enquête y compris les serveurs de l’entreprise. En matière de preuves, la directive admet un large arsenal d’outils à valeur probante : « les types de preuves [admis] comprennent les documents, les déclarations orales, les messages électroniques, les enregistrements et tout autre élément contenant des informations, quel qu’en soit la forme et le support » (Dir. (UE) 2019/1, 11 déc. 2018, art. 32). Ce qui signifie que, contrairement à la pratique décisionnelle de la Cour de cassation relative aux enregistrements pris à l’insu (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667, Bull. ass. plén., no 1), la directive valide les enregistrements vocaux dissimulés tout comme les messages électroniques non lus ou supprimés.

Des sanctions dissuasives renforcées
 
La méthode de détermination des sanctions, prévue par le communiqué des sanctions de 2011 est refondue. S’agissant de l’amende, le plafond de 3 millions d’euros est supprimé pour les entités autres que les entreprises. Il est remplacé par un plancher universalisé de 10 % du chiffre d’affaires mondial pour les entreprises et les associations d’entreprises. Une politique dissuasive d’amende, effective et proportionnelle, est ainsi mise en œuvre en cas d’infraction ou d'obstruction. Dans le cas des organisations professionnelles, le plancher de l’amende doit être proportionnel au chiffre d’affaires de chaque membre, ce qui aboutit à un dépassement du seuil indicatif de 10 % du montant des sanctions pour les associations de grandes entreprises afin de les dissuader efficacement. Pour mettre fin aux infractions, l’AdlC peut désormais imposer des mesures comportementales mais aussi structurelles, en agissant sur la structure de marché par l’obligation notamment de céder une filiale.

Une dimension de coopération nouvelle entre les autorités nationales de concurrence
 
Un véritable principe d’assistance mutuelle entre les autorités de concurrence des États membres de l’Union européenne est consacré par la directive. Ainsi, des visites et saisies pourront être réalisées pour le compte d’une autre autorité de concurrence nationale. De même, l’envoi des griefs à une entreprise qui n’est pas implantée en France pourra être fait par une autre autorité de concurrence nationale. Lors d’une mesure d’enquête, l’AdlC aura la possibilité d’assister une seconde autorité, bien que ce ne soit qu’un simple rôle d’assistance puisqu’elle devra rester en retrait. Par ailleurs, la directive donne une place prépondérante à la communication entre les autorités nationales de concurrence puisque la prescription des poursuites pourra être suspendue lorsqu’une autorité de concurrence nationale est déjà saisie d’une affaire similaire avec l’entreprise en cause.

Le programme de clémence au cœur de la directive
 
Harmonisé à l’échelle européenne, le programme de clémence octroie aux entreprises une immunité d’amende lorsqu’elle révèle la participation à une entente. L’obligation de coopération imposée au demandeur lui donne en contrepartie une protection personnelle qui s’étend aux mails et aux déclarations des entreprises bénéficiant du programme. Le véritable apport pour le droit français est la possibilité d’une réduction de la sanction pénale pour le demandeur de clémence en évaluant sa contribution personnelle ainsi que sa responsabilité dans l’infraction poursuivie.
 
Par Alexandra Dayras et Charlotte Roegis
Source : Actualités du droit